La biosécurité dans le monde - Contexte historique

Les directives européennes relatives aux OGM

Dès le milieu des années 1970, dans la foulée des lignes directrices adoptées par le NIH aux États-Unis, plusieurs pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Danemark) ont déjà adopté des mesures visant à assurer la sécurité des activités de laboratoire impliquant l'ADN recombinant. Ces mesures vont faire l’objet d’une première harmonisation au niveau européen en 1982 (Recommandation 82/472/CEE du Conseil du 30 juin 1982 concernant l'enregistrement des travaux relatifs à l'acide désoxyribonucléique (ADN) recombinant), puis en 1984 (Recommandation R(84) 16 du Conseil de l'Europe concernant la notification des travaux impliquant de l’acide desoxyribonucleique (ADN) recombiné) à travers des textes invitant les États membres à notifier et à enregistrer les travaux impliquant de l’ADN recombinant pour permettre l'imposition éventuelle de mesures de protection.

La nécessité de mettre en place au niveau européen un cadre réglementaire spécifique juridiquement contraignant dans le domaine des OGM va s’imposer à partir de 1985 du fait de l’objectif de l’Union européenne de réaliser un marché unique (objectif qui aboutira en 1993). Il est utile de rappeller qu'à cette époque (entre 01/01/1986 et 31/12/1994), l'Union Européenne (alors appellée la Communauté Economique Européenne) comprend 12 Etats Membres: l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni.  

Le manque d’harmonisation des règles nationales en matière d’utilisations des OGM, voire l’absence de règles dans certains États membres, porte préjudice à l’achèvement du marché intérieur. La Commission européenne va donc pousser à une approche réglementaire cohérente au sein de l’Union avec deux objectifs majeurs : protéger la santé et l’environnement, tout en garantissant la libre circulation dans l’Union européenne des produits issus du génie génétique. En 1986, la Commission annonce ainsi dans une communication au Conseil européen, son intention de préparer des propositions de réglementation des biotechnologies (European Commission. Communication from the Commission to the Council, A Community Framework for the Regulation of Biotechnology Com 86(573) final. Brussels: CEC, 4 November 1986).

Une directive européenne est un acte juridique qui définit des objectifs à atteindre par les États membres, auquel l'UE délègue le choix des méthodes. Une fois que la directive est adoptée au niveau européen, elle doit être transposée dans le droit national de chaque État Membre, dans des délais fixés. Les directives sont utilisées pour harmoniser les législations nationales, en particulier dans le cas d'un marché unique.
La Commission va dès lors s’atteler à l’élaboration de directives qui puissent répondre aux défis qui se posent face au développement des technologies de l’ADN recombinant :
- concilier les progrès scientifiques et techniques et la sécurité ;
- donner à la recherche fondamentale et appliquée les moyens de son développement, à l’industrie les moyens de commercialiser les produits utiles issus de ces recherches, sans entraver leurs efforts par des contrôles bureaucratiques paralysants.

Après deux années de travail interne supervisé par la Direction Générale XI (Environnement, Protection du consommateur et Sécurité nucléaire) de la Commission, une première proposition de texte est soumise aux États membres (Proposal for a Council Directive on the contained use of genetically modified microorganisms. Proposal for a Council Directive on the deliberate release to the environment of genetically modified organisms. COM (88) 160 final - SYN 131, 4 May 1988) Après de longues discussions, l’Union européenne se dote finalement le 23 avril 1990 de deux "directives OGM", la directive 90/219/CEE relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés et la directive 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

D’emblée, on constate que la Commission et les États membres choisissent de conserver la distinction qui s’est établie au fil du temps entre, d’une part, l’utilisation des OGM en milieu confiné (laboratoires, serres, animaleries, installations de production à grande échelle) et, d’autre part, leur dissémination volontaire dans l’environnement (à des fins de recherche ou de commercialisation). Cette distinction repose notamment sur les différences existant entre ces deux grandes catégories d’applications en termes de nature des risques et des mesures de protection à mettre en œuvre. Elle reflète aussi l’approche par étape du développement des OGM. Elle se justifie enfin par le choix d’une approche juridique différente pour les deux directives.

En effet, la directive 90/219/CEE va être adoptée sur la base de l’article 130 S du Traité européen de Maastricht, c.-à-d. en référence à la base juridique gouvernant la politique européenne de l'environnement. Une des caractéristiques de cette base juridique est qu’elle permet aux États membres qui le souhaitent d’appliquer des mesures de protection renforcées (à condition qu’elles soient compatibles avec celles établies dans le Traité), en vertu de l’article 130 T de ce même Traité ("Les mesures de protection arrêtées en vertu de l'article 130 S ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission.").  Dans le cas de l’utilisation confinée, on va donc fixer une harmonisation minimale à l'échelle communautaire et permettre aux États membres d'appliquer, s'ils le souhaitent, des règles de protection de la santé ou de l'environnement plus strictes.

La directive 90/220/CEE, elle, va être adoptée sur la base de l’article 100 A du Traité de Maastricht. Cette base juridique est spécifiquement destinée à harmoniser les mesures législatives, réglementaires et administratives des États membres (parmi lesquelles les normes de produits). Sur cette base, les dispositions réglementaires européennes s’appliquent strictement et les gouvernements nationaux ne peuvent pas modifier le contenu de ces dispositions. La législation en matière de dissémination d’OGM dans l’environnement a donc pour objectif majeur d’éviter des divergences entre les diverses mesures nationales potentiellement génératrices de distorsions de concurrence. Les mesures d'harmonisation visent à établir et assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, tout en assurant un haut niveau de protection environnementale.

Une autre caractéristique majeure distingue les deux directives : leurs champs d’application. Alors que la directive 90/220/CEE s’applique à tous les OGM (micro-organismes, plantes et animaux), la directive 90/219/CEE ne couvre que les micro-organismes génétiquement modifiés (c.-à-d. les bactéries, champignons, parasites et virus). Cette limitation du champ d’application de la directive "utilisation confinée" (qui ne figurait pas dans la proposition initiale de la Commission) fut contestée par plusieurs États membres (dont la Belgique) lors des négociations. Elle fut néanmoins in fine choisie par la Commission pour permettre l’adoption de la directive, tout en sachant que les États membres qui le souhaitaient pouvaient, compte tenu de la base juridique flexible susmentionnée, étendre le champ d’application aux OGM dans le cadre de la transposition en droit national (ce que la plupart d’entre eux ont d’ailleurs choisi de faire). Il était également prévu que la Commission fasse une proposition législative complémentaire couvrant l'utilisation confinée des OGM, mais cette proposition n'a jamais vu le jour.

Les deux directives prévoient un système de notification et d’autorisation des activités mettant en œuvre des MGM ou des OGM. Il s’agit de directives de procédures. L’objectif principal est la gestion préventive des risques (visant la protection de la santé humaine et de l’environnement). Les directives reposent sur le principe général que les risques de toute utilisation confinée ou dissémination volontaire d’OGM doivent être évalués au cas par cas avant qu’une activité puisse faire l’objet d’une autorisation. De plus, la réglementation environnementale européenne étant fondée sur le principe de précaution, en cas d’incertitude scientifique, il y a lieu d’adopter des mesures préventives contre les dommages en prenant en compte le scénario du pire, et donc le risque le plus élevé. Notons encore qu’il s’agit de directives à portée qualitative. On n’y trouve en effet aucun seuil quantitatif, aucune valeur limite.

Les directives prévoient également la désignation par les États membres d’autorités compétentes spécialement pour la mise en œuvre de leurs dispositions et pour communiquer avec le public. Signalons aussi que ces directives ne s’appliquent pas au transport des MGM ou des OGM.

Révision de la directive 90/219/CEE

Peu de temps après son entrée en vigueur, il s'est avéré que la directive 90/219/CEE était rapidement dépassée par les développements dans le domaine du génie génétique et que les procédures administratives et les exigences en matière de notification n'étaient plus en phase avec le risque des utilisations confinées. Par ailleurs, l'utilisation intensive des techniques de modification génétique dans de nombreux laboratoires de recherche et dans l'industrie fournissait des arguments scientifiques montrant l'inocuité de nombreux types d'activités d'utilisation confinée impliquant des MGM, pour autant que ces activités soient exécutées moyennant l'adoption de principes en matière de bonnes pratiques microbiologiques et en matière de santé et de sécurité au travail.
Enfin, le Livre blanc de la Commission sur "Croissance, compétitivité, emploi" publié en 1993, concluait que la Communauté devait être disposée à réexaminer le cadre réglementaire en biotechnologie pour tirer profit du potentiel important de la biotechnologie en matière d'emplois, d'investissements et de croissance.

Suite à cet engagement, la Commission, en consultation avec les autorités nationales compétentes pour l'implémentation de la directive, a mis en oeuvre un processus de révision à partir de 1993. L'objectif recherché était de s'assurer que les exigences en matière de sécurité et les procédures administratives étaient en phase avec les risques pour la santé humaine et l'environnement, et reflétaient l'expérience acquise, les avancées en matière de connaissances scientifiques et les bonnes pratiques établies au niveau international. Cette révision prenait aussi en considération les cadres réglementaires en matière de biotechnologie moderne en vigueur chez les principaux pays concurrents, en particulier les Etats-Unis.

Les discussions débouchèrent sur la publication par la Commission en décembre 1995 d'une proposition de révision de la directive. Après de dures négociations entre les Etats membres, une accord unanime au niveau politique fût obtenu en décembre 1996 sur une version modifiée de la proposition originale de la Commission. En accord avec le Traité, les étapes procédurales suivantes fûrent ensuite réalisées:
- Première opinion du Parlement européen sur la proposition de texte, publiée en mars 1997 (OJ C 115, 14.4.1997, p. 59);
- Adoption par la Conseil des Ministres en décembre 1997 d'une "position commune" adaptant l'accord politique de décembre 1996 à la lumière de la première opinion du Parlement (OJ C 62, 26.2.1998, p. 1);
- Seconde opinion du Parlement européen publiée en juin 1998, basée sur la "position commune" (OJ C 210, 6.7.1998).
La directive 98/81/CE amendant la directive 90/2019/CEE fût finalement adoptée par le Conseil le 26 octobre 1998.

En 2009, la législation européenne en matière d'utilisation confinée de MGM a été consolidée pour plus de clarté (compte tenu des nombreux amendements qui avaient été faits et de la nécessité d'introduire de nouveaux éléments concernant les procédures de comitologie). La directive 2009/41/CE remplaçant la directive 90/219/CEE a été publiée le 21 mai 2009.

Révision de la directive 90/220/CEE

La directive 90/220/CEE a été abrogée en 2001 par la directive 2001/18/CE. Cette nouvelle directive visait à renforcer l'efficacité et la transparence de la procédure décisionnelle, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l'environnement. Elle a précisé une série d'aspects opérationnels de la directive 90/220/CEE.

Ses objectifs essentiels étaient de clarifier le champ d'application et les définitions ; définir les principes communs pour l'évaluation des risques au cas par cas ; renforcer le dispositif d'évaluation et de gestion des risques (notamment via la prise en compte des effets néfastes potentiels directs et indirects, immédiats ou différés, et l’obligation pour la Commission de consulter les comités scientifiques compétents sur toute question susceptible d'avoir des effets sur la santé humaine et/ou l'environnement) ; améliorer les procédures administratives et le système d'autorisation en introduisant des délais administratifs plus stricts ; améliorer les procédures de surveillance postérieure à la mise sur le marché et introduire une limite contraignante de dix ans maximum pour la première autorisation ; renforcer la transparence de la procédure décisionnelle et prévoir la consultation du public lors de la procédure d'autorisation ; établir des registres concernant des informations sur les modifications génétiques d'OGM et sur la localisation des OGM ; instaurer des exigences claires en matière d'étiquetage et de traçabilité pour tous les OGM mis sur le marché conformément à la directive.

En parallèle à l’évolution de cette directive horizontale (en ce sens qu’elle concerne tous les OGM quelque soient leurs domaines d'applications), des réglementations sectorielles ont également été progressivement mises en place. Ces réglementations concernent spécifiquement certains types de produits, en particulier les produits destinés à l’alimentation humaine ou animale, et les produits médicinaux à usage humain ou vétérinaire.

Jusqu'en 1997, la mise sur le marché d’OGM ou de produits dérivés destinés à l’alimentation humaine ou animale a été réglementée dans le cadre de la directive 90/220/CEE. À partir de 1997, les aliments pour l'homme contenant ou consistant en OGM ont été réglementés via le règlement (CE) n°258/97 sur les nouveaux aliments. Ces dispositions relatives aux OGM alimentaires et à leurs produits dérivés ont été remplacées en septembre 2003 par le règlement (CE) n°1829/2003 (aussi appelé règlement "aliments GM"). Ce règlement dispose d’un champ d’application couvrant non seulement les OGM destinés à l'alimentation humaine mais aussi ceux destinés aux aliments pour animaux (qui étaient toujours couverts jusqu'alors par la directive 90/220/CEE). De plus, contrairement à la directive 2001/18/CE qui ne concerne que les OGM vivants, il couvre également la mise sur le marché de denrées alimentaires et aliments pour animaux élaborés à partir d’OGM mais n’en contenant plus.

Ce nouveau règlement instaure le principe d’une procédure unique d’autorisation "une porte – une clé" à travers deux éléments importants :
- Il prévoit, dans le cas d’OGM à usage alimentaire susceptibles d’être disséminés dans l’environnement, une évaluation des risques pour l’environnement qui doit obligatoirement être réalisée conformément aux principes de la directive 2001/18/CE. Il instaure donc un lien juridique entre le règlement "aliments GM" et la directive-cadre en matière d’OGM, permettant de gérer via une procédure unique la dissémination dans l’environnement et l’utilisation d’un OGM comme denrée alimentaire ;
- Il met en œuvre une procédure d’autorisation centralisée au niveau communautaire. En effet, lors de la révision du système européen de sécurité alimentaire, une nouvelle institution indépendante, chargée de l’évaluation des risques et de la communication, a été créée : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA – "European Food Safety Authority"). Cette Autorité occupe une place centrale dans le processus d’évaluation des risques et dans les contacts avec les institutions européennes et les notifiants. L’Autorité coordonne étroitement son action avec les États membres.

Dans le domaine des applications médicales, une réglementation sectorielle spécifique a été mise en œuvre dans l’UE en 1993 en relation avec la mise sur le marché de produits pharmaceutiques (règlement (CE) n°2309/93). Pour les médicaments issus des biotechnologies, la procédure d’autorisation est centralisée et gérée au niveau de l’EMA ("European Medicines Agency", anciennement EMEA). Cette Agence européenne pour l'évaluation des médicaments a été établie en 1995 et est principalement responsable de coordonner l'évaluation scientifique des demandes européennes d'autorisation de mise sur le marché de médicaments. En 2004, le règlement susmentionné a été remplacé par le règlement (CE) n°726/2004 lui-même complété quelques années plus tard par le règlement (CE) n°1394/2007. Ce dernier instaure un comité pour les thérapies innovantes incluant les thérapies géniques ayant pour but de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques. Dans ce cas aussi, une procédure d’autorisation centralisée est mise en place, sous la responsabilité de l’EMA.
De la même manière que pour les denrées alimentaires, il existe un lien juridique entre les législations sectorielles "médicaments" et la directive-cadre 2001/18/CE. Dès 1993, le législateur a en effet prévu, pour les produits médicinaux se composant d’OGM ou en contenant, l’obligation d’effectuer une évaluation des risques environnementaux telle que définie par la directive-cadre OGM.