Évaluation des risques biologiques

L’évaluation des risques biologiques est un processus qui inclut l’identification, la probabilité d’occurrence et la sévérité d’un effet négatif potentiel pour la santé humaine ou l'environnement associé à une utilisation déterminée d’un OGM ou d’un pathogène. Un risque avéré conduira à la mise en œuvre de mesures de prévention appropriées.

 

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Introduction

L’évaluation des risques biologiques ne repose pas sur des bases théoriques développées par des technocrates, mais bien sur des bases empiriques nées à la suite d’une prise de conscience par la communauté scientifique, d'une part, du danger que représentait la manipulation d'organismes pathogènes (mis en avant au travers de recensements des maladies infectieuses acquises en laboratoire) et, d'autre part, des dangers potentiellement associés aux manipulations impliquant l’ADN recombinant.

Cette évaluation constitue le fondement scientifique qui permet d’autoriser ou d'interdire toute activité impliquant des OGM et/ou des pathogènes et, le cas échéant, d’imposer d’éventuelles mesures ayant pour but de limiter les risques potentiels pour la santé humaine et l’environnement.

L’évaluation des risques est un des trois éléments de l’analyse des risques les deux autres étant la gestion des risques (qui correspond traditionnellement au rôle des décideurs) et la communication des risques (vis-à-vis du public notamment). En théorie, ces trois éléments sont séparés et séquentiels, mais les frontières entre ces éléments s’avèrent parfois assez floues et perméables dans la pratique.

Réalisation de l'évaluation des risques biologiques

L'évaluation des risques des activités d'utilisation confinée mettant en oeuvre des pathogènes et des activités mettant en oeuvre des OGMs est réalisée au cas par cas (c-à-d qu'elle est fonction de l'OGM ou du pathogène considéré, du gène introduit, et de l'utilisation prévue). Elle se fonde aussi sur la science établie (faits scientifiquement avérés, résultats publiés dans des revues scientifiques reconnues). L'introduction d'OGM dans l'environnement se fait selon le principe d'une progression par étapes. Cela signifie que le confinement des OGM est réduit et l'ampleur de leur dissémination augmentée progressivement, par étapes, mais seulement si l'évaluation des étapes antérieures du point de vue de la protection de la santé humaine et de l'environnement indique que l'on peut passer à l'étape suivante. L'évaluation de chaque étape ultérieure prend donc en considération les résultats obtenus lors des étapes précédentes.

En conformité avec les principes et les méthodes ci-dessus, l'évaluation du risque biologique doit être effectué en six étapes, dans un procédé intégré et d'une manière itérative comme suit:

  1. Identification des caractéristiques de l'OGM ou du pathogène qui peuvent conduire à des effets négatifs (dangers) pour la santé humaine ou l'environnement, de la nature de ces effets, et des voies d'exposition via lesquelles l'OGM ou le pathogène peut affecter négativement la santé humaine ou l'environnement. Dans le cas de l'évaluation du risque environnemental (dissémination volontaire des OGMs), cette première étape commence avec l'énonciation du problème ("problem formulation"), un processus via lequel toutes les questions importantes pour la caractérisation du risque sont identifiées;
  2. Caractérisation du danger c-à-d l’évaluation des conséquences potentielles de chaque effet négatif ;
  3. Caractérisation de l'exposition c-à-d l’évaluation de la probabilité que chaque effet négatif potentiel identifié se produise ; 
  4. Caractérisation du risque qui consiste en une estimation du risque lié à chaque caractéristique de l'OGM ou du pathogène identifiée comme étant susceptible de causer des effets négatifs ;
  5. Adoption de mesures de gestion pour réduire les risques potentiels associés à l'OGM ou au pathogène à un niveau de "no concern", tout en prenant en considération les incertitudes.
  6. Détermination du risque général de l'OGM ou du pathogène, compte tenu des résultats de l'évaluation du risque, du niveau d'incertitude associé, et des mesures de gestion des risques proposées.

À ce jour, de nombreuses évaluations des risques ont été effectuées à travers le monde tant pour l’utilisation confinée d’OGM ou de pathogènes que pour la dissémination d'OGM dans l’environnement ou leur utilisation comme aliment pour l’homme ou l’animal ou comme produit médicinal. Les bases de ces évaluations des risques ont évolué progressivement en prenant en compte les données scientifiques et techniques les plus récentes.

Principe de précaution

Il est important de distinguer la prévention (qui est une réponse à un risque avéré) de la précaution. Selon la Commission européenne (Communication de la Commission du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution), le principe de précaution peut être invoqué lorsque les effets potentiellement dangereux d'un phénomène, d'un produit ou d'un procédé ont été identifiés par le biais d'une évaluation scientifique et objective, mais cette évaluation ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude. Le recours au principe de précaution s'inscrit donc dans le cadre général de l'analyse des risques mais relève de la gestion des risques. Le recours au principe de précaution n'est justifié que lorsque trois conditions préalables - l'identification des effets potentiellement négatifs, l'évaluation des données scientifiques disponibles et l'étendue de l'incertitude scientifique - ont été remplies.

L’évaluation des risques des OGM et des pathogènes ne prend pas en compte la notion de bénéfices associés, ni d’ailleurs aucun autre aspect sociétal, économique ou éthique associé à l’utilisation de l’organisme évalué. Ces aspects seront éventuellement considérés par les gestionnaires de risques au moment de la prise de décision. Notons toutefois que de plus en plus de voix s’élèvent au niveaux européen et international pour que les impacts socio-économiques potentiels de l’utilisation des OGM fassent l’objet d’une évaluation spécifique, en particulier dans le contexte de leur utilisation à des fins de mise en culture ou alimentaire. La question de savoir si une telle évaluation devrait être intégrée dans le processus actuel d’évaluation des risques ou menée de manière distincte est toujours ouverte.

Activité d'utilisation confinée

Dans le cas d'une utilisation confinée, la procédure aboutit à l'identification du niveau de risque associé à l'OGM ou au pathogène utilisé. Sur cette base, les mesures de confinement et autres mesures de protection (pratiques de travail, équipements de sécurité, gestion des déchets biologiquement contaminés) à adopter sont ensuite déterminées. L'analyse effectuée conduit à classer l'utilisation confinée dans l'une des 4 classes de risque existantes (échelle de risque croissant de 1 à 4). La dernière étape consiste à classifier définitivement l'utilisation confinée, qui sera confirmée par une réévaluation de l'ensemble de la procédure.

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Application de l'évaluation des risques et adoption de mesures de gestions des risques dans le cas de l'utilisation confinée des OGMs et/ou pathogènes 

Dissémination volontaire

Dans le cas d’une dissémination volontaire dans l’environnement (à des fins expérimentales ou commerciales) ou d’une utilisation alimentaire, les OGM doivent être intégralement caractérisés au niveau moléculaire. Les aspects liés à la consommation éventuelle de l’OGM (toxicité, potentiel allergène, analyse compositionnelle, valeur nutritionnelle) et/ou à son impact environnemental (paramètres agronomiques, possibilité de dissémination ou de transfert de gènes, impact sur des espèces non cibles...) font aussi l'objet d'une évaluation détaillée.

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Approche utilisée pour l'évaluation du risque environnemental d'une plante GM (Source: https://www.efsa.europa.eu/en/topics/topic/gmo)

Notons que l'évaluation du risque environnemental s’applique également aux OGM médicinaux utilisés lors d’un essai de thérapie génique ou de vaccination ou faisant l‘objet d’une demande de mise sur le marché.

Dans le cas d’une dissémination volontaire l'évaluation des risques consiste en une analyse comparative ayant pour objectif d'identifier des différences éventuelles entre l'OGM et son équivalent non génétiquement modifié, suivi d'une évaluation des impacts nutritionnels, sanitaires ou environnementaux de ces différences. Cette approche par comparaison se base sur deux concepts : le concept de familiarité et le concept d’équivalence en substance.

Le concept de familiarité énonce que l'évaluation des risques d'un OGM peut s'appuyer sur les connaissances et l'expérience déjà acquise avec l'organisme hôte non-modifié, le nouveau caractère, le milieu récepteur et les interactions entre ceux-ci (voir OCDE, 1993). Elle implique que l'organisme non génétiquement modifié utilisé pour développer un OGM est légitimement utilisable comme élément de comparaison afin de pouvoir identifier les différences dues à la modification génétique. L'OCDE a élaboré plusieurs normes (les "documents de consensus") à utiliser dans l'évaluation de la familiarité.
Le concept d’équivalence en substance spécifie que ce sont les risques potentiels liés aux différences de composition entre l'OGM et son équivalent non GM qui doivent être étudiés. Ce concept a été décrit initialement par l’OCDE en 1993 dans le contexte de l’évaluation de la sécurité sanitaire des aliments dérivés de la biotechnologie moderne. Il est maintenant utilisé largement au niveau international dans l’évaluation des risques sanitaires des OGM alimentaires (son utilisation dans ce contexte a été avalisée par la FAO et l'OMS). L’évaluation de l’équivalence en substance implique la mesure de la présence et de la concentration d’une série de constituants importants de l’aliment (protéines, vitamines, carbohydrates, toxines antinutriments...). On considère qu’un produit GM est équivalent à son homologue non GM dès lors que ses caractéristiques en terme de composition se trouvent dans l'intervalle normal de la variation naturelle estimée pour le référent non GM. L’établissement d’une équivalence substantielle n’est pas une évaluation de la sécurité sanitaire en soi, mais un élément analytique et un outil directif pourl’évaluation des risques qui permet de décider comment poursuivre cette évaluation. Si des différences de composition ont été identifiées entre la plante GM alimentaire et son comparateur approprié, des études toxicologiques et nutritionnelles ciblées doivent être effectuées pour évaluer la sécurité et l'impact nutritionnel sur les humains (Kok and Kuiper, 2003).​

Méthodologie reconnue internationalement

Les principes de base de l’évaluation des risques biologiques ont émergé à partir de travaux menés au niveau international en particulier à l’OCDE (voir Section "Contexte Historique"). Cette tendance s’est poursuivie et même amplifiée au fil des années comme l’illustrent par exemple les travaux menés dans le cadre du Codex Alimentarius en relation avec les normes alimentaires ou encore dans le cadre du Protocole de Cartagena sur la biosécurité. Dans ces instances, comme dans d’autres, des groupes d’experts sont régulièrement amenés à affiner, préciser ou illustrer la méthodologie d’évaluation des risques biologiques, par exemple pour l’appliquer à de nouveaux types d’organismes (insectes, arbres, poissons, virus...) ou à de nouvelles caractéristiques (par exemple résistance à la sécheresse ou à d’autres conditions extrêmes). Si certains aspects de l’évaluation des risques biologiques sont parfois remis en cause (on citera par exemple l’application de la notion d’équivalence substantielle dans l’évaluation des OGM alimentaires), les principes généraux demeurent à ce jour inchangés.

Avec le temps, la représentation scientifique des experts impliqués dans l’évaluation des risques biologiques a aussi évolué, surtout dans le domaine des OGM. Là où les biologistes moléculaires étaient prédominants aux premières heures de la biosécurité, cette discipline accueille maintenant des scientifiques spécialisés dans les domaines de l’environnement, des nutritionnistes, des toxicologues ou des allergologues.

Controverses

La masse de données scientifiques utiles et de cas d’étude venant en support des évaluations de risques s’est aussi considérablement enrichie au fil du temps. Cette évolution a évidemment contribué à améliorer l’évaluation des risques. Mais elle débouche aussi sur ce paradoxe de conduire à une augmentation des questionnements. Comme le signale Di Castri (1992), "Il faut se figurer le savoir comme une sphère. En augmentant son volume, la surface de contact avec l’inconnu s’agrandit" (Di Castri F. L’écologie en temps réel. In Theys J. et Kalaora B., (Dir.) La terre outragée. Les experts sont formels ! Ed. Autrement, Paris, 1992.)

Que l’évaluation des risques débouche sur de nouvelles questions n’a en soit rien d’anormal, tout comme d’ailleurs l’absence de consensus entre scientifiques sur l’interprétation de certaines données. Cela procède bel et bien de l’approche scientifique, qui n’est pas univoque mais contradictoire. Ces questionnements devraient conduire à la mise en œuvre de nouvelles recherches et à la genèse de données supplémentaires. Malheureusement, les problèmes de financement, la destruction de parcelles d'essais en champ de plantes transgéniques, le manque d’intérêt pour ce type de recherche ou d’autres facteurs sont autant d’obstacles à l’évolution de la recherche dans le domaine de la biosécurité.

Trop souvent aussi, la controverse scientifique, au lieu de nourrir le débat scientifique, nourrit la polémique. Cela est apparu très clairement ces dernières années dans le domaine des OGM. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cet état de fait : la divulgation vers le grand public de résultats scientifiques préliminaires, la généralisation abusive de conclusions scientifiques, l’isolement de certains résultats expérimentaux de leur contexte (l’évaluation des risques biologiques est un processus incrémental et holistique dans lequel les données scientifiques doivent être considérées dans leur ensemble), ou encore la confusion entre "danger" et "risque".